J’ai entendu beaucoup de chose à propos des difficultés du polyamour et je trouve qu’on a tendance à mélanger certains sujets. J’aimerai vous décomposer clairement, ce que je considère être les 4 principaux obstacles à surmonter en polyamour, sans faire d’amalgame et en replaçant ces difficultés dans leurs contextes. Je ne parlerai pas du quotidien de la vie en polyamour mais d’abord de la démarche dans sa globalité.
GESTION DES RELATIONS
J’entends souvent que le polyamour n’est pas possible, n’est pas viable, que c’est déjà très compliqué de se gérer soi-même, de réussir une relation avec quelqu’un d’autre alors multiplier tout ça paraît complétement insensé. Ces doutes sont fondés mais non pas grand-chose à voir avec le polyamour.
Effectivement, le vrai problème est qu’on ne sait pas se gérer soi-même. On manque cruellement d’éducation émotionnelle et relationnelle. Si on ne connaît pas notre propre fonctionnement, si on ne sait pas s’aimer soi-même, on ne peut pas développer des relations saines avec les autres. Ces lacunes rendent toutes les relations compliquées, peu importe notre orientation relationnelle.
Mais une chose est sure, si vous multipliez les relations, vous multipliez les joies et les souffrances que vous avez l’habitude de vivre. Donc si vous avez beaucoup de mal à gérer une relation, le polyamour peut vite devenir chaotique.
Je vais vous illustrer cette idée avec le jonglage. Si vous avez du mal à maîtriser une balle et jongler avec une deuxième, en rajouter va empirer la situation. Et le problème ne vient pas du jonglage à trois balles ou de cette dernière spécifiquement mais d’un manque de compétence général dans la compréhension et la maîtrise de cette pratique. Je pense d’ailleurs qu’en terme de relation (moi le premier), on est tous plus ou moins de mauvais autodidacte !
Pour apprendre à jongler, la base c’est déjà de savoir gérer une balle. Cette balle c’est nous. On apprend d’abord à en prendre soin, à bien connaître ses caractéristiques, s’entrainer à la lancer, à la rattraper, développer notre agilité et notre coordination. C’est le plus important !
Ensuite, on met cette balle en relation avec une autre, qui peut avoir des caractéristiques différentes qu’il faudra connaître. Et là, on va développer des nouvelles compétences pour faire coexister deux balles dans un même mouvement sans qu’elles ne se gênent. Ça demandera des connaissances et beaucoup de pratiques pour arriver à quelque chose de fluide.
Mais à partir du moment où vous maitrisez complétement cette technique, vous pouvez ajouter 1, 2 ou 3 balles, le mouvement est exactement le même mais en plus rapide ou plus ample ! La seule chose à faire, c’est de s’adapter aux caractéristiques de chaque nouvelle balle. Voilà ma vision des relations multiples.
Donc la gestion des relations en polyamour ne demande pas forcément d’apprendre des compétences spécifiques comme jongler avec une troisième balle mais surtout de faire le même travail que ferait n’importe quelle personne qui veut améliorer sa relation de couple. Un travail sur soi : introspection, développement personnel et psychothérapie ; et un travail sur sa relation aux autres : communication, attentes, organisation, etc.
Cette démarche en polyamour est souvent indispensable car peut-être que vous arrivez à peu près à jongler avec deux balles sans trop les faire tomber et que ça vous convient. Mais si vous en rajoutez une seule, cet équilibre fragile ne tiendra plus et vous allez passer votre temps par terre à ramasser vos balles.
La non-exclusivité confronte d’autant plus, chaque individu à des situations qui demandent de comprendre et surmonter ses démons (jalousie, peur de l’abandon, dépendance affective, ego, orgueil). Mais gardez bien à l’esprit que vous ne faites pas ça pour pouvoir vivre en polyamour, vous faites d’abord ça pour vous, pour vivre plus heureux et plus apaisé tout le temps !
PEUR DE SOUFFRIR
Alors oui c’est dur, mais cette difficulté ne vient pas du polyamour en soit, mais d’abord de la qualité de notre relation avec nous-même et les autres, comme on vient de le voir. Vous pouvez percevoir cette difficulté comme un obstacle ou une opportunité d’apprendre et d’évoluer. Un bébé tombe plus de 2000 fois avant de savoir marcher ! Mais pour lui tomber n’est pas un échec. Ça devrait être la même chose pour les adultes et pour n’importe quel apprentissage.
L’échec n’en est pas un, ce n’est qu’un essai supplémentaire et nécessaire pour progresser. Une fois que vous avez intégré ça comme processus d’apprentissage, la difficulté n’est plus un problème.
Moi pendant les 6 premières années en monogamie avec ma copine, je n’ai pas souffert une seule fois, mais je n’ai pas évolué non plus. J’en n’avais pas conscience, mais notre couple était en danger. Depuis ces dernières années, à travers le polyamour, j’ai vécu des expériences difficiles, mais je n’ai jamais autant appris et évolué en si peu de temps. A tel point, que maintenant je cherche volontairement à me mettre dans ces situations !
D’ailleurs c’est tout le mal (ou le bien) que vous souhaitent le philosophe Nietzsche dont je traduis un passage :
« A ces êtres humains à qui je tiens, je souhaite la souffrance, la désolation, la maladie, les mauvais traitements, les indignités, je souhaite qu’ils ne restent pas étrangers au profond mépris de soi, au supplice de la méfiance de soi, à la misère du vaincu : je n’ai aucune pitié pour eux, car je leur souhaite la seule chose qui puisse prouver aujourd’hui qu’on vaut quelque chose ou pas : d’endurer. » (Friedrich Nietzsche, The Will to Power).
Personnellement, ce qui m’a permis de sortir de mes difficultés, c’est de prendre conscience, que ce que je pensais savoir et comprendre d’une situation était erroné. Ce n’était que ma perception biaisée (ma réalité), dans laquelle on a tendance à se victimiser et rejeter la faute sur les autres. Ce comportement restreint complétement nos solutions car on dépend des autres pour s’en sortir. On n’est peut-être pas entièrement responsable des événements qui nous tombe dessus, mais on est responsable de la manière dont on les vit. Comprendre qu’on est à l’origine de nos souffrances, permet de changer de perception et de récupérer le contrôle de nos émotions.
Je vous traduis tout ça avec un exemple concret. Admettons que votre partenaire vous annonce être amoureux d’une autre personne (ce qui m’est arrivé). Quand vous l’apprenez, vous ressentez une terrible insécurité et de la jalousie. Vous lui en voulez d’aimer une autre personne, vous en voulez à celle-ci de venir exploser l’équilibre que vous aviez construit et vous vous demandez ce que vous avez fait pour mériter ça. Si vous vous positionnez en tant que victime, vous allez souffrir de cette situation sans rien pouvoir faire, à part espérer que cette nouvelle relation s’arrête.
Mais si vous partez de l’hypothèse que vous n’êtes pas une victime et que vous êtes à l’origine de votre souffrance, vous allez comprendre que vous avez peut-être simplement peur d’être abandonné, rejeté et de finir seul. Ce sont vos peurs et votre ego qui sont à l’origine de cette réaction émotionnelle. Ces émotions ne sont pas une finalité, mais seulement des alertes envoyées par votre cerveau pour vous faire passer un message. Quand vous les reconnaissez et que vous prenez le temps de les comprendre, vous pouvez trouver l’origine de votre réaction émotionnelle et en déduire des comportements adéquats.
Votre partenaire vous parle de l’amour qu’il a pour une autre personne, mais à aucun moment ne remet en cause ou dénigre son amour pour vous. Si c’est pourtant ce que vous ressentez, alors c’est une interprétation induite par vos peurs et vos croyances. Aimer quelqu’un et éprouver de la compersion, c’est partager son bonheur mais aussi ne pas être malheureux quand on n’en est pas à l’origine.
En communiquant, vous parviendrez à vous rassurer sur vos sentiments respectifs. En parallèle peut-être que vous vous sentez trop dépendant.e de cette relation, de son amour et vous allez vous recentrer sur vous, développer votre estime de vous et votre autonomie émotionnelle. Le fait de vous responsabiliser dans cette situation, vous permet de ne plus en vouloir à votre partenaire et d’accéder (de débloquer) de nouveaux comportements qui ne dépendent de personne d’autre que vous !
CRISE IDENTITAIRE
Factuellement, passer de l’exclusivité au polyamour ne va pas forcément bouleverser votre quotidien. Vous allez probablement continuer à travailler, à faire vos activités, à voir vos proches et à rester en relation avec votre partenaire actuel, si la transition se passe bien.
En revanche sur le plan intellectuel, ce changement peut être un bouleversement assez important ! Notre identité est basée sur quelques valeurs importantes qui sont hiérarchisées. Elles influencent nos comportements et les croyances auxquelles nous adhérons. Beaucoup de nos valeurs, nos croyances et nos conditionnements, nous viennent de notre culture et notre environnement, dont la monogamie occupe une place centrale.
Du coup, qu’on soit à l’initiative du polyamour ou non, on va réagir à ce changement, différemment selon nos valeurs et nos croyances. Je vais vous l’illustrer en me basant sur l’expérience de mon couple lors de notre transition quand ma copine est tombée amoureuse d’un autre homme, ce que je raconte dans un autre article.
Pour moi, la liberté et l’indépendance, sont des valeurs très fortes et je peux rencontrer des difficultés dans une relation si je me sens étouffé, si je manque d’espace, si ça devient trop fusionnel ou si ma partenaire est possessive. Du coup, j’ai vécu la transition vers la non-exclusivité comme un soulagement car ça correspondait très bien à mes valeurs.
Ces mêmes valeurs sont également importantes pour ma copine, c’est pourquoi elle était en théorie en accord avec le polyamour. Mais celles-ci ne sont pas prioritaires, pas autant que la famille. C’est d’ailleurs l’une des valeurs les plus courantes, mais elle peut être perçu différemment. Dans son cas, elle visualisait la famille classique, telle qu’elle est traditionnellement représentée dans notre culture monogame. Dans sa réalité, dans laquelle le polyamour n’était pas encore une option, ce nouvel amour était synonyme de tentation, d’adultère, de mensonge et de trahison, ce qui mettait en danger sa famille. Donc sa première réaction a été de rejeter et de refouler ses sentiments pour rester alignée à sa valeur principale.
Ce comportement a eu comme effet immédiat de créer un conflit interne, qui l’a littéralement rendu très malade, car elle allait contre l’amour qu’elle avait pour cet homme et ses autres valeurs comme la liberté… d’aimer. Elle n’avait plus aucun repère et a vraiment vécu une crise identitaire. Plusieurs années après, elle assume de plus en plus cette orientation relationnelle. Pour y parvenir, elle n’a pas changé sa valeur principale, mais elle a abandonné certaines croyances erronées pour déconstruire et réinventer son idéal de la famille, qui n’a finalement pas de lien avec la monogamie ou d’autres normes sociales.
C’est je pense l’un des points majeurs qui rend une transition difficile, voire impossible, vers la non-exclusivité. On se raconte tous des histoires sur notre vie futur. Et quand on vit un bouleversement comme celui-ci, ça nous demande d’en faire le deuil. Il n’est pas question de savoir si la nouvelle histoire qui se dessine sera mieux ou moins bien, mais elle est simplement différente et c’est suffisant pour devoir passer par une phase de deuil.
Donc je pense qu’il ne faut pas être trop attaché à ses histoires et ses attentes, mais simplement choisir une direction qui nous convient à un moment donné, tout en restant ouvert aux autres possibilités.
REGARD DES AUTRES
La peur du regard des autres est à prendre en considération quand on parle de mode de vie alternatif comme le polyamour. Reprenons l’exemple précédent de quelqu’un qui a construit son identité autour de la famille traditionnelle. Quand cette personne développe un intérêt pour le polyamour et traverse peut-être une crise identitaire, imaginer en parler à sa famille très traditionnelle voir conservatrice semble inconcevable ! Je pense que cet obstacle peut stopper nette beaucoup de personne dans leur élan. Car en plus de faire soi-même tout un travail d’introspection et de déconstruction, il faudra affronter en plus le regard et le jugement des autres.
C’est un frein classique au changement. Pour caricaturer ça, imaginez une famille où tout le monde est banquier ou une famille où tout le monde est pêcheur. Forcément, dans les deux cas, si vous décidez de passer d’un métier à l’autre, vous changer carrément de statut social, ce qui pourrait vous éloigner, et même vous exclure de votre famille. C’est d’autant plus dur si vous êtes en recherche d’une certaine forme de reconnaissance. Vous allez créer un décalage avec vos proches et vous craindrez d’être rejeté. Faire des choix de vie très différents de son entourage peut donc être vécu comme un véritable risque.
Mais si vous vous laissez influencer par ce que pourrait penser les autres, le risque cette fois, c’est de ne pas véritablement vivre comme vous l’entendez. Si vous pensez être, consciemment ou non, facilement influençable par votre entourage, n’oubliez pas que comme direz Stephen Fry :
« Vous êtes qui vous êtes, quand personne ne vous regarde ». Pour être heureux.se ou aligné.e, vous devez assumer cette personne, même quand on vous regarde. Se sentir légitime d’être soi-même, sans se demander « qu’est-ce qu’en pensera un tel ou un tel ».
Si vous décidez un jour d’en parler, généralement nos proches sont simplement très surpris, mais si vous avez des relations saines avec eux ça devrait plutôt bien se passer.
Quand vous discutez avec quelqu’un qui est bien dans sa vie sentimentale, cette personne sera plutôt curieuse et bienveillante. Mais si on commence à vous faire des reproches, à vous juger, à vous dire que ce n’est pas bien, que ça ne peut pas marcher, que c’est n’importe quoi et j’en passe… ça veut dire que cette personne n’est pas bien dans ses baskets. Ce que j’entends par là, c’est que quelque part au fond d’elle, consciemment ou non, quelque chose l’attire dans la non-exclusivité. Elle préfère donc vous en dissuadez et vous voir échouer. Pas dans l’intention de vous faire du mal, mais pour ne pas avoir à se remettre en question. Nos réactions par rapport aux autres ne sont que le reflet de nous-même. Donc plus les propos d’une personne sont durs et plus ça démontre un conflit intérieur important.
Vous savez si vous dites que vous réduisez votre consommation de viande ou de déchet, certaines personnes vont se jeter sur vous si vous mangez un petit bout de poulet ou que vous achetez un seul produit emballé. Dans ce genre de réaction, il y a forcément une part cachée de culpabilité.
Donc faites bien attention de vous détacher du regard des autres, aux risques d’être influencé par la projection de leurs regrets, de leurs peurs ou leurs envies inavoués.
RIEN A PROUVER, A PERSONNE
Pour conclure sur ces 4 obstacles à surmonter, j’aimerai vous rappeler, qu’on n’a rien à prouver, à personne ! Je remarque que le polyamour est souvent sujet à débat, mais il n’y a pas débat ! Si on était obligé de choisir une orientation relationnelle pour tous, alors là oui on pourrait discuter. Mais là chacun choisit ce qu’il veut. C’est comme débattre de l’intérêt de la trottinette par rapport au vélo, c’est inutile ! Chacun a le droit d’avoir son opinion du moment qu’il ne cherche pas à l’imposer aux autres.
Faites également attention, de ne pas accepter d’être dans la position de la personne qui doit se justifier et défendre son opinion. Vous demandez d’argumenter et de prouver que ce que vous faites est « bien » n’est pas légitime.
Ça m’est arrivé plusieurs fois de me retrouver dans cette situation et vous pouvez simplement posez cette question à votre tour « Est-ce que tu veux qu’on inverse les rôles, qu’on analyse ton couple et les statistiques de la monogamie ? Je ne pense pas et ça ne m’intéresse pas car chacun fait bien ce qu’il veut ».
Finalement, pour vivre des relations non-exclusives sainement, vous allez devoir effectuer un travail important sur vous, pour rattraper toutes les lacunes causées par notre manque d’éducation émotionnelle, relationnelle et nos névroses. C’est quelque chose que tout le monde devrait faire, peu importe son orientation relationnelle mais que peu de personne font. Et vous aurez la difficulté supplémentaire d’être à contre-courant du modèle et des croyances dominantes.
Mais peu importe la destination, ces efforts en valent vraiment la peine. Vous allez devoir vous remettre en question, vous responsabiliser, votre ego va en prendre un coup, vous allez affronter vos peurs, lâchez prise, faire des erreurs, sortir de votre zone de confort, perdre vos repères, déconstruire vos croyances, affronter le regard des autres et beaucoup d’autre chose. Mais comme toute remise en question, la récompense est énorme puisque vous allez prendre un virage dans la direction que vous aurez choisie et qui vous correspond vraiment !
Publié par Romain
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Merci beaucoup pour ce texte. Je “débute ” dans le poly amour et découvre à quel point c’est éprouvant. Après cette lecture je me sens plus apaisée, avec des voies de réflexion. Cela me redonne courage.
Deborah